Technicien du son : interview Alexandre BOREL
Publié le 18 juin 2021, modifié le 29 novembre 2023

Les anciens du GRIM : Interview Alexandre BOREL, Technicien du son

 

Retour d’expérience

 

 

Bonjour Alexandre, est-ce que tu peux te présenter ?

 

Alexandre Borel, dit « Boule », depuis mon stage chez Fa Musique quand j’étais au GRIM. Là-bas, il y avait un mec plus âgé que moi d’une dizaine d’année qui s’occupait du son, et tout le monde le surnommait Bill. Et comme le patron de Fa Musique, Frédéric André, avait trouvé que je lui ressemblais physiquement, il a décidé de m’appeler Boule. Comme ça pendant mon stage, il inscrivait « Boule & Bill » sur les feuilles de prépa. Au final, ça m’a suivi toute ma vie.

 

 

Quelles sont les grandes étapes de ton parcours professionnel ?

 

J’ai commencé en faisant des stages chez Fa Musique pendant ma formation au GRIM, où je prenais déjà des cachets d’intermittent. Dès que j’ai fini l’école, j’ai passé mon permis poids lourds pour continuer de travailler avec eux.

 

Là-bas, j’ai rencontré des gens importants dont Alain Peyrard (ancien élève au GRIM), pour lequel j’étais assistant. Au début je préparais ses régies, jusqu’au jour où j’ai tout fait de A à Z pendant qu’il était occupé : câblage, tests, jusqu’au chargement du camion. Et à ce moment-là, Alain a inversé nos contrats pour que je sois payé en tant que Régisseur son, et lui en tant qu’assistant. Au final je me suis occupé du show, sous la bienveillance d’Alain. Ça a été le début de ma carrière.

 

Après, Alain m’a lancé sur un festival organisé par les Ogres de Barback et une association locale en 2003. Au début je tenais une petite scène, jusqu’au jour où le régisseur de la grande scène a eu un problème de santé et ne pouvait pas venir. J’ai donc dû le remplacer sur sa scène de 10 000 personnes.

 

Fa musique faisant partie du groupe Dushow, j’ai pu m’occuper par la suite de la partie sonore sur les tournées de Panacloc.

 

Et ensuite tout s’est enchainé :

 

En dehors d’Fa musique, j’ai fait un festival à Saint-Nazaire, où je faisais l’accueil sur des petites scènes au début, puis la grosse scène. C’est pendant ce festival que j’ai beaucoup appris en technique. Ensuite je suis parti en tournée avec les Ogres de Barback.

 

Via FA music, je suis parti avec Olivia Ruiz en calage de système. Je bossais sur d’autres festivals de rock à Albi. Tournée intensive à partir de 2003 – 2004 avec le groupe Uncommonmenfrommars, un groupe de rock qui avait sa renommée en France. Avec eux, j’ai découvert la tournée intensive, les milliers d’heures dans les vannes, l’enregistrement d’album en studio… Ça a été très formateur pour moi.

 

Parallèlement à ça, j’ai eu, Sexion d’Assaut, la plus grosse tournée de l’époque. Il y avait plein de matos de pointe, j’ai pu chercher et tester plein de choses.

 

Il faut savoir que plus tu fais de tournées, plus tu travailles avec des boites de productions, du coup le Directeur technique t’appelle pour que fasses une autre tournée.  Et là je me suis retrouvé à bosser en direct pour des boites de prod, et moins avec Fa musique. En fait tu travailles avec d’autres boites de son en parallèle, parce qu’on te dit « le matos il vient de chez eux et puis c’est tout c’est comme ça ».

 

Donc j’ai fait pas mal de trucs intéressants par la suite avec eux, dont les calages de Bercy pour Kerry James. Le mec qui mixait Kerry James à l’époque avait bien aimé le travail que je faisais sur Sexion d’assaut et il a demandé à la prod que ce soit moi qui vienne.

 

Ensuite, Fred m’appelle en 2005 pour savoir si j’étais partant de faire les Francofolies. Je lui réponds « Putain mais oui trop bien t’es fou ! ». Donc je me suis retrouvé sur le plateau du festival avec 5 – 6 personnes. J’étais tellement motivé que j’ai fait le plan de câblage sur l’ensemble du plateau au mètre près. On savait exactement ce qu’il nous fallait, comment on allait poser les régies retours, le nombre de multipaires etc…

 

Au Francofolies, je rencontre un gars qui me dit « Ecoute, je dois partir en tournée faire les retours de Ben l’Oncle Soul, mais si je fais ça ma femme va me quitter. Ça te brancherait de me remplacer ? ». Evidemment, j’ai dit oui, et je suis parti en tournée pendant un mois dans toutes les îles françaises (Réunion, Nouvelle Calédonie, Martinique, Guadeloupe…). C’était une superbe expérience.

 

Parallèlement à ça, deux amis à moi ont fondé le Warmaudio, car ils avaient beaucoup de demandes pour faire de l’enregistrement. Moi j’avais encore beaucoup de matos dans mon studio « Cabanon » chez mes parents, qui grossissait au fil des années et de mes investissements. Mickael (un ancien élève du GRIM) m’a demandé de m’occuper de la partie « matos » du studio pendant que lui s’occupait des locaux. Donc en gros je suis arrivé dans un espace quasiment vierge en me disant : « ok là ça serait bien de faire une salle de prise de 9m par 6m pour faire quelque chose de grand, la régie faudrait qu’elle fasse telle dimension et qu’elle soit placé ici etc… » et voilà. Pendant le confinement je bossais encore sur l’acoustique du studio, c’est du boulot quotidien quoi, je pourrai y passer ma vie, en même temps à coté de ça j’ai le live.

 

 

Est-ce que tu peux nous dire quel est ton métier et en quoi il consiste ?

 

Mon métier, je mets un point d’honneur à le qualifier de Technicien son, de manière assez généraliste. Parce qu’on a trop tendance à dire « je suis ingénieur du son », alors que l’on est pas du tout ingénieur. En fait, cet abus de langage vient du terme « Audio Engineer », qui veut dire « celui qui met en œuvre l’audio » en anglais. On a traduit ça en « Ingénieur du son », ce qui n’est pas du tout exact.

 

Donc je me qualifie comme « Technicien son »,  pour englober mon activité en studio (au Warmaudio) et le live (en tournée avec Fa Musique).

 

 

Comment t’es-tu intéressé à l’audio ?

 

A la base je suis musicien, j’ai commencé la basse et le solfège quand j’étais en 5ème. En grandissant, je me suis intéressé au matériel, ce qui m’a amené à enregistrer mes groupes moi-même. Au fur et à mesure, je me suis mis à enregistrer le groupe des copains dans le petit studio que j’avais monté dans la ferme de mes parents, qu’on appelait « le mouche cabanon ». Depuis ce moment-là, j’ai appris à faire mes maquettes par mes propres moyens.

 

 

Quelles études as-tu suivies ?

 

A la base je ne me prédestinais pas du tout à être technicien du son. Après mon bac littéraire, J’ai fait une prépa et une première année à Emile Cohl (une école de dessin). Mais pendant ces études, je faisais énormément de son pendant mon temps libre, que ce soit la nuit ou pendant la pause déjeuner à midi. Un jour, l’un de mes professeurs de dessin qui me voyait toujours bouquiner des Tascam m’a dit : « écoute, il faut que tu fasses du son, ce n’est pas fait pour toi le dessin toute façon. Vue l’énergie que tu mets là-dedans, fais-en un métier ».

 

J’ai donc arrêté Emile Cohl pour travailler 2 ans et mettre de côté pour des études qui m’intéresseraient vraiment. J’ai intégré le GRIM en 2000 pour faire une première année Régisseur Technique et une 2ème année spécialisée en régie son.

 

 

Comment est née ta passion pour le son ?

 

Par le matériel. Je trouvais ça intéressant d’enregistrer mes groupes avec un quatre pistes, pensant que j’allais sortir l’album de l’année. Jusqu’au moment où tu branches ton premier SM57 sur une guitare et tu te rends compte que ça sonne complètement différemment, donc tu te mets à faire des recherches. Donc le côté musical pour faire sonner ma démo, faire sonner mes groupes… et puis l’aspect technique, cette envie de brancher des choses.

 

Je me souviens quand j’étais petit, mes parents voulaient m’offrir ma première chaine Hifi, mais moi ça ne m’intéressait pas je voulais un super ampli, un super lecteur CD, et deux enceintes, quitte à ce que ça soit mon cadeau pour mes 2 prochains anniversaires. En fait plus y’avait des fils et plus je trouvais ça cool.

 

 

Est-ce que tu continues de te former régulièrement ?

 

Oui, j’ai eu la chance de vivre une grande transition : passer du monde analogique au monde numérique. L’ossature du travail restait la même (gain, compresseur, équaliseur…), mais ça ne se manipulait plus de la même façon. J’ai donc dû passer par l’apprentissage du réseau, du sous réseau, des architectures… Tu deviens plus informaticien que sonorisateur pour faire marcher tout ce bazar.

 

J’ai eu le besoin de me former une fois en 2005, où j’ai fait une formation de 2 semaines très poussée sur le calage, l’analyse, et la configuration des systèmes de sonorisation. Cette formation m’a beaucoup aidé, et c’est ce que j’explique aux élèves. Le GRIM c’est super bien pour savoir que les choses existent et apprendre les bases. Le fait de savoir que tout ça existe te permet ensuite de creuser plus loin quand tu en auras besoin.

 

Après cette formation je n’ai plus eu le temps pour me former, à part pendant le confinement où j’ai suivi des formations d’acoustique studio. Par exemple aujourd’hui j’aimerais bien me former sur les réseaux du numérique, et les systèmes HF.

 

 

Est-ce que tu peux nous raconter une journée type ?

 

En fait il y a plein de journées types… On aurait une journée type en studio, une journée type quand tu es en tournée, et une journée type quand tu es prestataire.

 

Pour la journée studio : tu arrives le matin, t’installes ta session, tu sais que tu vas avoir une batterie, tu poses tes micros, tu prépares ton Pro Tools ou ton Magnéto à bande… t’enregistres le groupe et ensuite y’a les tables de mixages. On parlerait plutôt d’une semaine type, sachant que personne ne travaille de la même façon dans un studio. Personnellement je suis plus du genre à me lever à 7h, commencer à travailler à 8h pour partir vers 19h / 20h. Y’en a qui veulent commencer à 14h et finir à 4h du matin.

 

La journée type d’une prestation quand tu travailles pour Fa Musique par exemple, c’est quasiment la même chose. Pour une date le jour J, tu as d’abord le J-1 où tu fais ta préparation dans le local, tu check ta console pour voir si tout marche bien, histoire que tu n’ai pas de problème quand t’arrives sur ton plan. Parce que si tu as oublié un câble qui est à 500km bah t’es mort. Le jour J, tu exploites. Le temps de ranger, charger le camion et faire la route, il est 4h du matin. Puis le lendemain tu te lèves très tard.

 

Pour une prestation : t’arrives dans la salle, t’installes ta sono, à 14h tout marche, le groupe vient faire sa répète et à 18h, tu accueilles le public, ça joue, tu démontes et tu rentres.

 

En tournée c’est pareil mais au lieu de dormir chez toi tu dors dans un bus. En général y’a deux bus : un pour les artistes et un pour les techniciens. Tu sors du bus à 7/8h du matin selon le poste que tu occupes, ceux qui accrochent les moteurs se lèvent plutôt vers 5h. Tu sors du bus, tu vas bosser. Tout doit être prêt à 14h, les artistes répètent, tu fais les sound checks, tu vérifies que tout marche. Et une fois que c’est fait, tu as le show le soir, tu ranges tout, tu plies, tu charges le camion, tu rentres dans ton bus, tu roules toute la nuit pour aller à la date d’après et la journée du lendemain c’est pareil. Et tu répètes l’opération 3 / 4 fois par semaines à peu près.

 

 

Est-ce qu’il y a des conséquences sur la vie privée quand tu exerces ce type de métier ?

 

Oui il y en a. Les tournées impactent énormément la vie privée. Je ne connais pas grand monde qui a la même copine depuis le début (rires).

 

Personnellement je viens d’avoir un gamin, et j’espère qu’il va m’appeler « Papa » quand je vais rentrer et pas « C’est qui lui ? » tu vois (rires). Mais voilà, ça crée des manques affectifs, ce genre de choses… Les interactions sociales sont différentes… tu passes pour un paria quand tu vas voir ton banquier alors que je gagne très bien ma vie et que ça fait 20 ans que je suis dans le métier… Enfin voilà quoi.

 

La vie sociale en prend un coup, c’est vrai, après je pense que les gens qui font ce métier sont comme moi. C’est-à-dire qu’on ne supporterait pas d’être du lundi au vendredi dans un bureau, avoir 5 semaines de congés payés par an où tu dois prendre 2 semaines en hiver et 3 semaines au mois d’août. Je ne pourrais jamais supporter cette routine, ça me tuerais.

 

Après avec l’âge, je commence à en avoir marre de tourner. Ça fait 20 ans que je bouge tout le temps. J’aimerai bien faire beaucoup plus de studio, faire une petite tournée chaque année, pas plus. Je viens d’avoir un gamin donc ça appelle un peu plus de stabilité en moi, j’imagine.

 

 

Parle-nous du côté humain dans ton métier ?

 

Il y a des tournées, comme par exemple celle avec Olivia Ruiz, où tu tisses de très bons liens. L’aspect humain est très important aussi pour rassurer l’artiste. Quand j’ai un Panacloc qui doute avant le show, je vais le voir dans les loges et je discute avec lui pour le rebooster. Et inversement, parfois c’est toi qui t’effondres et l’artiste viens te voir en disant « Ne t’inquiètes pas Willy, c’est un mauvais passage mais ça va le faire ». Des fois, par contre, certaines personnes n’ont aucune considération pour ton métier et ça ne passe pas du tout. Dans ce cas-là, tu fais ton boulot parce que tu as une conscience professionnelle, mais tu n’as pas envie de te donner plus que ça.

 

 

Raconte-nous ton plus gros pain ?

 

Je ne fais pas de pain (rires).

 

Si une fois avec Ben L’oncle Soul, je n’avais pas la console numérique, je prenais ce qui était en local. Y’avait une Yamaha PM5D, gain digital tout numérique (une des premières grosses numériques).

 

On fait la répète l’après-midi, et on était censé jouer tout seul en Martinique. Je sauve ma mémoire. Dans cette console tu pouvais sauver plusieurs états, c’est-à-dire que tu pouvais sauver les gains, indépendamment de tous les envois etc… En fait, il fallait faire 3 sauvegardes, mais il y avait une option où tu pouvais sauvegarder tout d’un coup. Je décide de tout garder sur la même sauvegarde.

 

Comme on était les seuls à jouer, je mute ma console et on s’en va à l’hôtel pour manger avant de revenir pour le show. Je reviens à 20h, et je vois un tabouret sur la scène, avec une guitare acoustique à côté. Quelqu’un s’approche de moi et me dit « C’est tout bon les gars, la première partie est prête, le mec est bien venu et il va faire sa musique ». Je suis étonné parce qu’on devait être les seuls sur scène ce soir-là. Donc le mec fait sa première partie, il ferme le rideau. Je m’installe sur ma console, j’appuie sur « mémoire » … et là je me rends compte que quelqu’un avait écrasé ma sauvegarde. Mais il n’a pas tout écrasé, seulement les gains. Je me rends compte de ça 30 secondes avant le début du show, pendant le line check. Je règle tous les gains à l’arrache, et quand le show commence, tous les musiciens me regardent d’un air de dire « putain c’est quoi cette merde » ?

 

Et en fait, à partir de ce moment-là, j’ai commencé à enregistrer mes réglages directement sur une clé USB, pour avoir une sauvegarde externe au cas où. D’ailleurs les premiers informaticiens disaient qu’il fallait 3 sauvegardes : une sauvegarde dans la machine, une à l’extérieur, et encore une autre sauvegarde dans un autre lieu. Ma clé USB c’était ma sauvegarde extérieure… et je ne l’avais pas faite. Heureusement les mecs étaient cool, on s’entendait bien. Et puis ça ne m’a pas handicapé dans le métier par la suite.

 

 

Est-ce qu’il est nécessaire d’être polyvalent dans ton métier ?

 

Oui. Le métier du son touche beaucoup de domaines. Quand tu es mixeur par exemple, je trouve que c’est important de savoir comment on cale des systèmes, et pourquoi ils sont calés comme ça. Quand tu cales des systèmes, c’est aussi important de savoir mixer en termes de ressenti. Tout s’imbrique. Quand tu es mixeur, c’est aussi important d’être mixeur en live que de savoir mixer en studio et inversement, même si certains trouvent que ces deux métiers sont complètement différents. Pour ma part je trouve que c’est complémentaire. Comme savoir pourquoi ton studio a un son de merde, c’est parce que tes murs ne sont pas traités pas exemple, que ce soit en termes d’absorption etc…

 

Comme savoir souder un câble par exemple, c’est hyper important dans l’aspect technique des choses. Si tu ne sais pas qu’un point chaud c’est là, et un point froid c’est comme ça, tu vas avoir des inversions de phase sans comprendre pourquoi. Sans les connaissances techniques tu vas chercher inutilement… Donc oui, c’est un métier avec beaucoup de facettes, et c’est important de toutes les connaitre.

 

Je vais aller loin mais on doit aussi avoir des bases en soudure et en menuiserie. Parce que ce métier ce n’est pas seulement savoir se servir de ses oreilles, c’est aussi savoir charger un camion, savoir réparer un fly, manipuler du matériel etc…


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